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Après quelques semaines passées à vous raconter l’histoire du projet dualo et avant de vous dévoiler la suite, nous avons eu envie d’interviewer Bruno Verbrugghe, fondateur de la société Intuitive Instruments.

Tout d’abord, pour poser le décor de cette interview, peux-tu nous rappeler ton parcours et ton rôle dans le projet Dualo ?

J’ai commencé la musique au lycée, par la guitare classique, puis la guitare électrique. À l’époque, j’étais déjà passionné par le son, et j’ai rapidement bidouillé ma guitare, allant même jusqu’à faire un trou dans le bois pour changer les micros et obtenir le son que je voulais. Je passais parfois plus de temps à obtenir le son d’un bout de solo plutôt que d’apprendre à jouer le morceau lui-même.

Arrivé à Paris pour mes études d’informatique, j’ai rapidement rencontré des musiciens et c’est là que je me suis mis au trombone, parce que j’étais attiré par le Jazz et la Funk et que j’étais entouré d’un guitariste vraiment plus doué que moi.

J’ai réussi au final à joindre mes études et ma passion par la musique en devenant étudiant puis chercheur à l’IRCAM, le mythique centre de recherche dédié aux sciences appliquées à la musique et au son.

En 2004, j’ai rencontré Jules Hotrique dans un big-band amateur de Jazz-Groove expérimental, nommé Balbazar. Nous étions tous les deux au pupitre de trombone.

Après l’IRCAM, j’ai saisi l’opportunité d’intégrer une startup au moment de sa création. Nous travaillions sur la reconnaissance et l’analyse de la voix chantée, d’abord pour des applications musicales, comme contrôler des synthétiseurs virtuels, puis dans le domaine du jeu vidéo. J’ai ainsi participé à la réalisation d’une grosse vingtaine de jeux vidéo de karaoké vocal et de danse sur Playstation, Xbox et Nintendo Wii.

En 2010, je me suis associé avec Jules pour développer un nouvel instrument de musique à partir du clavier qu’il avait inventé et des prototypes qu’il avait réalisés dans sa cuisine. Un an plus tard, nous avons co-fondé la société Dualo SAS pour professionnaliser le projet.

Qu’est-ce qui t’a poussé à sauter le pas, à te dire “on va créer un nouvel instrument” ?

À la base, ma spécialité à l’IRCAM, c’était le geste musical et les systèmes d’interactions musicales. Et puis cela faisait déjà plus de dix ans qu’au-delà de la pratique du trombone et de la guitare, je faisais de la musique avec des logiciels sur ordinateur et que j’enregistrais des groupes. J’avais donc la sensation de pouvoir apporter quelque chose au projet.

Ensuite, grâce à Thomas Guyon, le directeur de la pépinière d’entreprises de la Courneuve, nous avons travaillé avec Jules sur nos motivations profondes, notre mantra professionnel.

Et il y a un point qui est devenu central : nous avions tous les deux expérimenté cette émotion incroyable que l’on ressent quand on joue devant des gens ou que l’on a créé un morceau dont on est fier. Chacun a ses propres mots pour décrire ce plaisir, cette émotion, et nous c’était très clair, notre mission était de faire en sorte que tout le monde puisse s’exprimer par la musique et ressentir cela. C’est notre apport à la construction d’un monde meilleur.

Aussi, j’ai toujours été un musicien moyen parce que je n’ai jamais pris le temps de maîtriser l’harmonie. Sur la guitare, j’ai toujours trouvé cela compliqué et long à apprendre. Par exemple, d’une forme d’accord à une autre, les doigts n’ont pas les mêmes fonctions harmoniques… J’ai tout de suite compris que le clavier dualo simplifiait beaucoup de choses et permettait d’avoir de la satisfaction rapidement. Et pour donner envie, rien de mieux que de ressentir du plaisir.

À la création de la société Dualo, vous aviez déjà le clavier dualo et le prototype de Jules. Qu’est-ce qui a ensuite dirigé la conception des du-touchs et du du-game ?

C’est vraiment l’envie de créer un instrument d’aujourd’hui pour les musiques d’aujourd’hui.

Plus on s’éloignait du Rock et de la guitare, plus on se rendait compte qu’il n’existait pas d’outil pour jouer autant du Hip-Hop que de la House, sans avoir besoin d’un ordinateur et plein de matériel. Fini les soirées entre potes à jouer les musiques d’aujourd’hui.

Aussi, d’un point de vue personnel, à cause de mes études et du manque de temps, mes amis sont petit à petit devenus de bien meilleurs musiciens que moi. Pour pouvoir continuer à faire des bœufs avec eux, j’ai eu envie d’avoir un outil qui me permettrait de faire de la musique moins avec des notes et plus en créant des ambiances avec des sons, comme des dialogues de film, des bruits de sirènes, de ville, de nature.

Jules, de son côté, voulait un instrument aussi mobile qu’une guitare parce qu’il jouait souvent à droite et à gauche. Il avait souvent plusieurs groupes et il voulait pouvoir jouer plein de sons différents pour prendre le rôle de la batterie, de la basse ou du clavier,…

Ça a commencé par ça. Ensuite nous avons demandé à des milliers de personnes comment ils imaginaient l’instrument idéal ou l’instrument du futur et nous avons fait une compilation de toutes ces envies.

C’est pourquoi le du-touch S est un instrument autonome, sur batterie, qui possède pleins de sons internes et la possibilité de charger ses propres sons et qui permet de construire des morceaux entiers dans tous les styles et notamment les musiques urbaines et électroniques.

Ensuite nous avons ajouté le du-game, parce qu’on voulait donner les clés pour pouvoir improviser dans tous les styles et apprendre en s’amusant.

Toujours cette histoire de démocratiser la pratique et la création musicale, pour que le maximum de gens puisse ressentir cette émotion dont je parlais avant, et qui a guidé nos pas.

L’année dernière cela faisait donc 10 ans que le projet s’était professionnalisé. Avec du recul, est-ce que tu estimes que ça a fonctionné ? Comment ont été reçus les du-touch ?

Au début de notre aventure, nous avons passé beaucoup de temps à expliquer que “si, si, au XXIème siècle il est encore possible de créer de nouveaux instruments de musique”. Aujourd’hui c’est moins le cas, bien que cela reste compliqué de faire admettre que la manière de placer les notes sur un clavier peut être optimisée, et que le piano et la guitare ne sont pas les solutions ultimes, qu’ils n’ont pas été conçus pour que ce soit facile de manipuler l’harmonie.

Dans notre volonté de rendre accès plus facilement, nous nous sommes aussi régulièrement heurtés à la croyance que pour apprendre à jouer de la musique il faut forcément souffrir.

Le du-touch, et particulièrement le du-touch S est une réussite, c’est indéniable. C’est une invention sans compromis, nous avons été au bout de l’idée sans vaciller, et cela en fait un instrument exceptionnel.

Cependant, je pense que le du-touch est encore trop en avance sur son temps. Il reste un OVNI dans le paysage des instruments électroniques et de ce fait, on voit bien que c’est compliqué, avant de l’acheter, d’anticiper sur la valeur ajoutée et les sensations qu’il va apporter. Ce n’est pas tant un problème de pouvoir l’essayer que d’arriver à se projeter en train de l’utiliser.

L’un des freins majeurs, c’est son look d’accordéon du futur. Beaucoup de gens l’ont écarté parce qu’ils pensent que c’est un accordéon. Ceux qui l’utilisent savent surtout que c’est très pratique de pouvoir jouer dans son canapé, dans le train, dans la nature, debout en marchant ou sur une scène et qu’il se glisse facilement dans un sac. La mobilité extrême qu’on lui a donné est trop en dehors des codes actuels.

Je discutais encore il y a quelques jours avec un batteur professionnel qui a parfaitement compris l’intérêt du clavier dualo pour lui, mais la forme du du-touch S est tellement éloignée de toutes les machines qu’il a déjà, qu’il n’a jamais fait le pas.

Autre exemple, nous avons beaucoup de mal à sortir le du-touch S d’une sphère francophone. Nous envoyons régulièrement des communiqués de presse aux médias anglophones spécialisés en musique mais aucun n’est relayé. C’est une des raisons qui font que la communauté des dualistes est principalement francophone. Je pense que c’est encore une fois ce côté OVNI qui fait qu’on ne lui accorde pas d’attention, qu’on le prend pour ce qu’il n’est pas.

Reste que la communauté des dualistes est la plus belle preuve du potentiel des du-touch. Aujourd’hui je peux citer les noms d’une quarantaine de personnes qui nous ont exprimé, à travers les années, à quel point leur du-touch avait eu un impact fort dans leur vie.

Dans une moindre mesure, hier encore, un dualiste qui a reçu son instrument il y a à peine trois semaines me disait qu’après avoir composé son dernier morceau, il avait ressenti une émotion qu’il n’avait pas ressenti depuis des années avec sa guitare.

C’est quoi la suite pour le projet dualo ? Peux-tu nous dire sur quoi vous travaillez en ce moment ?

En 2020, pendant le premier confinement, nous avons pris du recul pour mieux comprendre ce que nous avions créé jusqu’alors, pour comprendre qui sont les dualistes et leurs motivations.

Cela nous a permis de travailler sur les attentes de la communauté et du plus grand nombre, puis d’identifier quelles améliorations nous pouvions apporter à la fois aux instruments existants et dans le cadre du développement de nouveaux produits.

Nous avons ainsi fait le travail de découper en éléments autonomes et complémentaires tout notre savoir-faire, tout ce qui fait que l’expérience dualo est intuitive et différente des autres instruments électroniques.

Nous avons donc isolé trois grands éléments :
– le clavier dualo ;
– l’ergonomie dédiée à la créativité musicale, qu’on appelle aussi workflow créatif ;
– la pédagogie avec le du-game.

Pour chacun de ces éléments, nous avons imaginé comment nous pourrions les faire évoluer et les rendre plus robustes dans le temps… Ce que nous vous dévoilerons la semaine prochaine !

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